D’aucuns pensent souvent à tort que les trekkeurs et les randonneurs veulent aller toujours plus loin, toujours plus haut, quand il s’agit surtout de toucher, un court instant, ses limites et de les dépasser. Es-ce que cela arrive à chaque fois ? Pas pour moi. Mais je crois que c’est ce qui s’est passé aux Trois Salazes, pour chacune d’entre nous. Trois filles : Mélanie, Anne-Charlotte et moi. Une appréhension : la réputation des Trois Salazes. Trois rochers suspendus entre les cirques de Mafate et Cilaos, à plus de 300 mètres du sol, accessibles par une arrête étroite de plus de 400 mètres de long. Maîtriser le vide ; voilà ce dont il s’agit.
Après une courte nuit à Cilaos, nous sommes réveillées par le youdoloudoldou de quelqu’un de beaucoup plus matinal que nous. Julien, un des seuls guides de haute montagne à proposer les Trois Salazes, nous attend, souriant. Je sens les filles moins sûres d’elles que la veille mais on ne s’attarde pas trop sur nos appréhensions ; on les garde pour soi, encore un peu. La nature, elle, ne se trompera pas et nous ne pourrons pas cacher bien longtemps ce qui nous anime et ce qui nous retient. Rejoints par quatre autres randonneurs, nous attaquons le sentier du Col du Taïbit, éclairés par nos frontales. Nous ne parlons pas. Et, à mesure que le jour se lève, les langues se délient.
Sur le sentier de Cap Bouteille, on aperçoit enfin les Trois Salazes. Une belle pente, rocailleuse et encombrée se dessine avant d’arriver à l’arrête. On prend quelques photos, on plaisante encore. Arrivés au sommet, le Morne au Fourche se dresse, imposant et finit de nous réveiller. Au fond du cirque de Mafate, une image d’Épinal qui rappellerait presque le Lot ; la mare du Plateau de Kerval, un troupeau.
Julien nous tend cordes et baudriers. Une sécurité pesante. Quelques cailloux branlants et le vide, des deux côtés de soi, qui commence. Anne-Charlotte, devant, avance en tâtonnant. Son rythme devient le nôtre, ses hésitations, notre assurance de bons seconds. Nous devenons peu à peu une cordée. Les arbustes, mornes, sont recouverts de mousse et on devine entre les branchages éparses, un trou béant. Nous regardons peu le paysage.
Une heure, rythmée par le cliquetis des mousquetons et les conseils à voix basse. Je me surprends à être à l’aise, à regarder le vide comme une possibilité plutôt qu’un danger. Là où je croyais trouver la peur, je ne vois qu’étendue et sérénité. Le précipice n’est alors qu’un somptueux décor pour un sentier de moins de 60 cm de large.
Si pour Mélanie et Anne-Charlotte, la leçon était là, la mienne est maintenant juste devant moi. Six mètres. Six petits mètres d’escalade qui ne paraissent rien. Julien m’assure. Il me suffit d’écouter sa voix : “un pied ici, une main là”. Il tient la corde, il me retient. Tout va bien. Je rate une prise, elle est trop loin. C’est là que commencent mes limites. Je le sais. Je panique, je crois que je ne vois plus rien. “Tu peux te laisser tomber dans le baudrier” me dit Julien. Je le sais. Mais je ne peux pas : ni lâcher prise, ni avancer. Je suis coincée. Faire confiance à Julien. Le noir s’estompe, j’entends à nouveau sa voix. Je tends mon bras vers la prise. Elle est juste à côté cette fois. Un mètre, puis deux. Je pousse sur mes bras.
Me voici à quatre pattes, sur une roche bien dure. Je me relève, lentement, un peu plus sûre de moi. Autour Mafate, Cilaos et l’océan. Seule, en haut de se rocher, ivre d’être allée non pas plus haut, ni plus loin : juste un petit peu plus près, juste un petit peu plus vraie.
Un par un, mais ensemble, nous sommes tous allés plus près. Trente mètres de rappels nous attendent encore pour quitter le rêve, quelques heures de marche. Mais quelque chose s’est passée là-haut, c’est sûr. Trois semaines plus tard, je crois qu’une partie de moi est restée là-bas ; debout, les bras en l’air sur une des Trois Salazes.
Informations complémentaires :
Départ à 4h15 de Cilaos. Prévoyez donc dans l’idéal de dormir sur place. Retour entre 14h et 16h sur Cilaos. Randonnée, murs d’escalade et rappels.
Tarif : environ 90 euros guide, matériel et assurance comprise.
On vous recommande vivement Pranaventure ; Julien est guide de haute montagne, connaît bien le site des Salazes et trouve toujours le bon mot pour vous faire rigoler (et il y en a besoin !).
Matériel à prévoir : lampe frontale, K-way, chaussures de randonnée, si possible un pantalon, crème solaire, lunettes de soleil et picnic
BRAVO !
Wahou, ça rigole pas votre affaire. Ça donne envie.
Merci 😉
Oui, ça commence à être costaud.
Il ne faut pas avoir le vertige dans cette histoire 🙂
C’est sur 😉
petard , merci pour l’article ! ça rentre dans mes projets, et j’en ai déjà des frissons !!
Ahah ! Tu nous raconteras ce que tu en as pensé alors ? Tu vas adorer c’est sûr 😉
Salut
Merci pour cet article
Je pars a la Reunion dans 10 jours et j’envisage très sérieusement de faire les Salazes.
Avais tu déjà fait de l’escalade auparavant ?
Salut @anna
Non, c’était ma première fois. Si tu n’as pas trop le vertige, tu peux le faire. Il n’y a qu’un seul passage difficile d’escalade, vers la fin, et un rappel assez impressionnant à la fin, d’où l’importance de prendre un guide assermenté.
J’avais adoré le guide de Pranaventure, expérimenté, à l’écoute et hyper sympa.
Voici sa page Facebook pour le contacter : https://www.facebook.com/pranaventure
Salut
De retour de la Réunion depuis quelques jours, la tête encore aux Salazes. Merci pour ta réponse. Après de longues journées de réflexion, j’ai pris la décision de grimper moi aussi aux 3 Salazes et je ne regrette absolument pas. Trouille bleue durant les 3/4 de la journée, mais Julien de Pranaventure est top effectivement et les paysages valent clairement le détour !!
@anna Ahaha 😉 Merci pour ton commentaire. Je suis ravie. Ce n’est pas de la petite rando et maintenant que tu as franchi le pas, qui sait, peut-être que tu auras envie de faire encore mieux la prochaine fois.
Quelle aventure! Vous êtes vraiment courageux. Merci pour les photos, elles sont magnifiques!
@barouding Merci Camille.
Malgré un passage compliqué, si c’était à refaire, je résignerai tout de suite 😀