A deux heures de marche de là, sous un soleil plaqué du mois de mai, Yannick Frain m’attend. A 53 ans, il poursuit sur l’exploitation des Saveurs de Prés Salés, le travail de quatre générations, un métier exigeant dans un environnement dur et où les prix des terrains interdit quasiment toute nouvelle installation. Alors qu’ils étaient une vingtaine d’éleveurs il y a quelques années dans la baie, ils ne sont plus aujourd’hui que 5 à élever les fameux moutons du Mont-Saint-Michel.
Trois mots reviennent en boucle : passion, terroir et goût du produit. “Il n’y a pas de secret ; sans cela, on ne tiendrait pas” me confie-t’il car les journées ici commencent très tôt. Dès le lever du soleil, il faut sortir les moutons de la bergerie et les emmener paître dans les prés salés, qui donneront à leur viande ce goût si particulier. Les plus jeunes, eux, resteront à la bergerie avec Yannick pendant que le troupeau effectuera 15 km en aller-retour incessant entre le Mont-Saint-Michel et la Chapelle Sainte-Anne. Faire tourner la coopérative autogérée qu’il a monté avec les autres éleveurs AOP, gérer l’administratif, cultiver les céréales, respecter les cahiers de commande, le reste de la journée n’est pas à chômer, d’autant plus que Yannick sélectionne avec soin ses clients, parmi lesquels Ducasse et la boucherie Daguerre à Paris.
“Les prés salés, c’est un monde âpre et fermé. On ne fait pas de communication. Je ne parle pas de prix avec mes clients. Tous, les restaurants et les distributeurs y compris, viennent visiter l’exploitation, connaître la race des têtes noires Suffolk et le travail que l’on fait sur place. Ensuite seulement, quand ils connaissent le produit de A à Z, nous pouvons parler non pas d’argent mais de valeur.”
J’aurai voulu passer des heures à parler de la bergerie et de son avenir mais déjà, le devoir nous appelle. Le soleil décline et les moutons, eux, n’attendent pas. Le terrain est immense. Yannick m’entraîne à l’arrière de son quad vers les prés salés.