Enfin, je lâche prise et tandis que le sentier continue de grimper sans moi, je fredonne les chansons que ma grand-mère m’apprenait petite alors que le corse, longtemps oublié et méprisé, n’était enseigné que par les aïeux volets fermés. Aujourd’hui, la langue revient. Les petites cousines le parlent, se chamaillent, s’en servant comme d’une langue secrète aux récréations. Perdue dans mes pensées, je me retrouve soudain nez à nez avec un corsinu, ce chien hargneux et trapu qui porte, en hommage à son maître, la même robe de treillis militaire marronnée. Le regard est vide et je n’ai aucune idée de son intention. A cette distance, impossible de savoir s’il remue la queue par plaisir de la rencontre fortuite ou parce que la chasse, ce week-end précisément, vient de rouvrir et qu’il a trouvé en moi sa première proie de la saison. Lestée par mes vingt kilos de fatras et de calories diverses et variées, je n’ai aucune chance, même avec la dizaine de mètres qui nous sépare encore. Courageuse mais sûrement pas téméraire, j’attrape le bâton qui, par chance, traîne juste à mes pieds et, avant de franchir le rubicond, tente un amical “tu veux jouer mon gros pépère ?”La queue frétille, énergique. Et, alors que je m’apprête justement à lancer mon arme drolatique en contrebas, son maître apparaît. Une baraque. 1,90 m de muscles et de bronzage des calanques m’adresse un bonjour doux à bercer un nouveau né. Tioca à ses pieds saute en remuant l’arrière train. Il est d’ici, de Moncale, la réserve où malgré l’interdiction de chasse, on ne voit plus guère de sanglier. Il aime à s’y promener, “par habitude”. L’antépénultieme syllabe est mâchée : il n’y a aucun doute, il est bien de la région. Sans aller jusqu’à livrer mes coins, je le plains aimablement. Le Nebbio regorge encore de sangliers et je sais mon beau-père à la chasse en ce moment.
A mesure que ses pas s’éloignent, je reprends mes pérégrinations mentales, ce calme qui m’envahit dès que je marche en forêt, laissant les pensées une à une faire le chemin.